En 2005, Loto-Québec et le Cirque du Soleil développent un projet de relocalisation du Casino de Montréal à Pointe Saint-Charles, au bassin Peel. Le projet d’envergure internationale est évalué à 1,2 G$ et propose aux citoyens et touristes un casino, un hôtel et une salle de spectacle en un seul site.
L’objectif ? Accroître la clientèle du casino et attirer plus de touristes à Montréal tout en valorisant un site industriel délaissé.
Ce projet conquiert rapidement tous les acteurs-clés en place : médias, milieux politiques, gens d’affaire… sauf les organismes sociaux, dont le Regroupement économique et social du Sud-Ouest. Tel David contre Goliath, cet opposant réussit à créer un débat social autour du projet en faisant appel aux médias. Mission accomplie. Il y avait là un délicieux bonbon à saveur de controverse.
Effet boule de neige
L’histoire continue. La Direction de la santé publique de Montréal décide de ne pas appuyer le projet, jugeant que Loto-Québec n’a pas pris en compte les répercussions négatives sur la santé physique et psychologique des habitants du Sud-Ouest, dont beaucoup sont dépendants aux jeux de hasard.
Conséquence : le gouvernement commande un rapport pour analyser toutes les retombées économiques et sociales du projet de relocalisation. Quelques jours après la sortie de celui-ci, le Cirque du Soleil décide finalement de retirer ses 178 M$ de la table. Loto-Québec abandonne alors la partie.
Chronique d’une mort annoncée
Malgré l’abondance de ses ressources financières et humaines, Loto-Québec a complètement sous-estimé l’importance de la cause sociale rattachée à ses activités.
Parions qu’au niveau des communications, les habitants défavorisés du Sud-Ouest, futurs clients ou non, n’ont jamais fait partie des plans. On a tout misé sur le positionnement du projet, faisant fi de la gestion des risques et de l’analyse complète des acteurs. Pourtant, la notion de partie prenante est centrale dans les questions de responsabilité sociétale.
Une partie prenante peut être une personne directement impliquée dans un projet, mais aussi une personne dont les intérêts peuvent subir un impact tant négatif que positif. Elle peut influencer les résultats d’un projet, voir même le transformer en échec comme dans ce cas-ci.
Avant de penser aux stratégies ou mettre en branle les livrables, il faut bien définir les parties prenantes, connaître leurs attentes, leurs intérêts et leurs influences. Et surtout, ne pas oublier d’identifier les conséquences de leur non-satisfaction.
Un projet commun
Après quoi, il s’agit de mettre en œuvre les actions gagnantes, c’est-à-dire, trouver des convergences d’intérêts avec les opposants afin de les rallier aux projets en question. Ainsi, on oriente efficacement nos stratégies afin d’atteindre les objectifs fixés.
Retour en arrière. Pourquoi ne pas écouter, consulter, impliquer les habitants et les organismes du milieu dès le début du projet ? En fait, considérer leurs points de vue divergents permettrait d’avoir une meilleure vue d’ensemble et de transformer les problèmes en solutions, voir même en opportunités. Exemple : offrir en priorité les emplois aux résidents du Sud-Ouest via un programme de réinsertion sociale.
N’oublions pas. Bien connaître ses parties prenantes peut être payant pour tous !
Tout à fait d’accord en ce qui a trait à ce faux-pas de Loto-Québec. Cependant, considérant l’implication du Cirque du Soleil dans le quartier Saint-Michel, tout porte à croire que des projets innovateurs à valeur sociétale auraient vu le jour et auraient pu bénéficier aux habitants de Pointe Saint-Charles.
Le rejet de ce projet a aussi consacré les québécois comme les princes de l’inertie. Mais il est inquiétant de constater qu’une bonne partie de la clientèle » jeu » provient de milieux pauvres….aucun doute: les inquiétudes soulevées étaient fondées. Il s’agit là d’une importante incidence à considérer mais non d’un obstacle . Malheureusement les ajustements nécessaires pour bien vendre ce projet ne se sont jamais produits.
C’est fou de voir à quel point un petit groupe de pression (6 personnes, si ma mémoire est bonne) peut avoir un si gros impact sur un projet de telle envergure. Ils ont carrément fait renverser la vapeur d’une initiative qui, d’emblée, enchantait tout le monde et ainsi changer l’opinion publique (le meilleur allié dans un projet public).
Comme tu le dis, la gestion de projet est aussi une analyse des risques (i.e. prévoir qu’un groupe de pression s’y oppose).
Par contre, j’ai peur qu’en planifiant trop, on passe plus de temps à prévoir la crise (gérer la gestion de projet) que passer à l’action et, ainsi, manquer le « momentum ».
Bon article!
Je suis tombée par hasard sur un épisode de Tout le monde en parlait sur la construction des barrages d’Hydro-Québec à la Baie James. Quel bel autre exemple d’un projet où les parties prenantes, extrêmement sous-estimées, ont joué un rôle important dans le déroulement du projet.
En effet. Comme quoi on n’apprend jamais assez de l’histoire !
Je ne crois pas que les parties prenantes dites sociales étaient carrément ignorées, mais le risque qu’elles posaient a été considéré comme minime par les instigateurs du projet. En fait, le pari a été de les laisser aller en espérant qu’ils s’essoufflent. C’est mal connaître notre culture de revendicateur!
Cet exemple démontre de façon claire la subjectivité dans le processus d’établissement des acteurs en jeu, de leur pouvoir et influence et du risque qu’ils représentent. En fait, la partie « Action du chef de projet » semble avoir été occultée totalement. Ou sa stratégie s’est révélée pas très efficace.
Peut-on remettre en cause l’équipe au complet? Personne n’a opposé son opinion sur comment traiter avec ces parties prenantes sociales? Personne ne s’est levé pour dire: « Vous êtes dans le champs! »? Dommage. Si l’équipe ne se composait pas des éléments gagnants, il vaut peut-être mieux que ce projet soit tombé à l’eau avant sa réalisation.